le Gaslighting

(English version here)

Je n’arrête pas de discuter de ça, encore et encore. Ce truc, quand quelqu’un ruine ta perception de la réalité, et te dit que t’es timbrée, ou nie qu’un truc est en train de se produire au moment où c’est en train de se produire, tu vois ? Quand les personnes que nous aimons et en qui nous avons confiance nous font ça ?… ça crée un bon gros bordel dans notre esprit.

Avec le temps, ou quand c’est sur des choses vraiment importantes, l’expérience de recevoir un discours qui nie le réel ébranle notre confiance en nous-même et notre capacité à naviguer/s’orienter dans la réalité./Quand l’on reçoit fréquemment ou à propos de sujets importants, des discours qui nient le réel, notre confiance en nous même s’effrite ainsi que notre capacité à appréhender la réalité.

« Il y a un mot pour ça » dis-je à une amie en entendant encore une nouvelle histoire de ce genre. « C’est gaslighting. »

Mon amie demanda : « C’est quoi « gaslighting » ? Je n’en ai jamais entendu parler.

– C’est quand quelqu’un sape ta confiance en tes propres perceptions et que tu te sens folle parce que tes instincts, ton intuition et parfois juste tes bonnes vieilles perceptions te disent une chose, et que les mots de quelqu’un en qui tu as confiance te disent quelque chose de différent.

– Oh! dit-elle en recherchant la définition en ligne, “Oh” répéta-t-elle, mais gaslighting semble signifier que l’autre personne te fait ça intentionnellement. Je ne pense pas qu’il m’ait fait ça intentionnellement. Finalement, c’est difficile à épingler parce que je ne pense même pas qu’il était complètement au courant de ce qu’il faisait. En plus, ça l’a contrarié quand je lui en ai parlé. Mais il l’a fait. Et j’ai fini par me demander si j’étais saine d’esprit. »

Comprends-tu la profondeur du mal qu’on fait quand on contraint quelqu’un à questionner sa propre santé mentale ? C’est un problème sérieux. Rien à voir avec : « Oups, je t’ai apporté de la glace à la fraise et j’ai oublié que tu préférais la glace à la banane. » C’est destabiliser les capacités fondamentales d’une personne à s’engager dans la réalité. Elargis maintenant le phénomène à un contexte social où il a été dit chaque jour aux femmes, durant leur vie entière, que leurs perceptions ne pouvaient pas être crues alors qu’en fait, ces perceptions tapent carrément dans le mille ! Vous avez là un phénomène psychologique profondément dévastateur, persuasif et systémique : la déraison à petit feu. (insanity by thousand cuts)

Tout cela doit être pris en compte non seulement à cause de la violence engendrée mais aussi parce que les implications sont plus importantes encore. Si l’on considère la puissance, la force et la capacité à réaliser des changements des femmes qui croient en elles-mêmes, il nous faut réaliser ce que nous perdons quand nous doutons de nous-mêmes : une force indomptable pour un changement social, qui parce qu’elle est considérable, est vue par certains comme effrayante. En d’autres mots, cette capacité à nous comprendre nous-mêmes est très puissante : il y a une raison bien précise pour que l’on écrase systématiquement ce pouvoir chez les personnes méprisées, c’est qu’il est une force qui peut renverser l’injustice.

Peu importe les façons dont nous subissons l’oppression, ce processus nous dérobe de nos meilleures qualités, alors présentées comme des faiblesses, pour dissimuler à notre propre regard l’importance de notre puissance et de notre envergure. La nature structurelle de cette violence crée les conditions par lesquelles ce processus s’inscrit dans nos corps. Par conséquent, cette érosion de la réalité ne nécessite pas d’être intentionnelle ou consciente pour causer un mal significatif.

Les gens discréditent les perceptions des femmes ou des personnes considérées comme des femmes pour une variété de raisons compréhensibles :

-Ils se sentent honteux à propos d’une chose qu’ils ressentent, veulent, et/ou font, alors ils rusent et agissent de façon malhonnête dans leur expressivité émotionnelle, ou blâment l’autre personne plutôt que de prendre la responsabilité  de leurs propres émotions, volontés et/ou actions.

-Ils ne sont pas conscients d’eux-même et n’ont pas fait leur propre travail émotionnel, donc quand on les interpelle sur quelque chose de déconcertant dans leur comportement (comme une distance émotionnelle incohérente, de l’irritabilité ou des problèmes d’attachement) ils ne peuvent pas donner une réponse honnête mais donne une réponse plausible, émotionnellement malhonnête, à la place.

-Ils sont attachés à une certaine image d’eux-mêmes (image de personnes généreuses et enrichissantes, en tant que féministe, comme très responsable et respectueux) et ne sont pas prêts à perçevoir leurs côtés obscurs ou moins développés émotionnellement qui contredisent leur vision d’eux-mêmes ou leur image publique.

-Ils ont été élevé dans un foyer hostile aux conflits et n’ont pas appris comment rencontrer leurs propres besoins et ceux des autres simultanément. Ainsi, ils croient sans remise en question qu’un match nul est la seule issue. Et ils veulent ce qu’ils veulent… L’échange semble impossible,comme une impasse donc ils imposent leur volonté.

– Lorsqu’ils parlent de sujets inconfortables, ils ont un niveau physiologique d’excitabilité ou d’alarme qui devient accablant émotionnellement pour eux. Donc, ils l’adoucissent avec des excuses et une ruse logistique.

– Un degré d’intimité sain les rend anxieux et les met en garde. Garder les choses vagues protège leur sentiment de contrôle sur l’intimité émotionnelle.

-Ils peuvent n’avoir jamais expérimenté de sécurité émotionnelle et une receptivité saine et nourrissante (nurturing) de la part de leur entourage. N’ayant pas réalisé cela à leur sujet, ils peuvent penser que les personnes avec qui ils développent une relation proche ont des besoins excessifs et déraisonnables.

-Ils peuvent avoir grandi avec un père parlant aux femmes et aux enfants de cette manière sans prendre le temps de reconnaître et changer ce schéma.

– Ils peuvent avoir des « caractéristiques narcissiques . » C’est finalement assez commun (7.7% de la population masculine apparemment). Le « narcissisme » relève d’une expérience humaine : un vide interieur, une conscience de soi fracturée et sous-développée émotionnellement, enterrée sous des couches et des couches de honte, avec une apparente très forte estime de soi par-dessus. Pour ceux que ce débat intérieur travaille, les parties originales ou vulnérables de soi-meme sont séparée par un pare-feu et sous-développées émotionnellement. Ainsi, le guide intérieur pour l’empathie, la confiance et la connexion que des « adultes en termes émotionnels » ont pour les guider, est à des degrés divers, hors service. Ces gens sont particulièrement susceptibles de gaslighter les autres, sans même réaliser qu’ils le font. Malheureusement, ils sont aussi ceux les moins à même de reconnaître leurs actions et de prendre la responsabilité de leurs actes. Ils essaieront plus probablement de couvrir leurs oreilles, dévier le sujet, tergiverser, changer de sujet, attaquer ou fuir  quand quelqu’un-e essaiera de leur demander de l’aide ou une clarification. Le degré de prise de conscience de soi avec des caractéristiques narcissiques est extrêmement, extrêmement bas : ils sont peu susceptibles de le reconnaitre en eux-mêmes et de changer, aussi, devenir proche d’eux s’avère plutôt délicat.

Ces causes sont toutes compréhensibles. Les êtres humains qui sont de bonnes personnes font des choses pour des raisons compréhensibles. Personne n’agit sans cause. Des fois, des fois, plusieurs sérieux problèmes de santé mentale entrent en jeu. Le « trouble de la personnalité narcissique », par exemple, implique un bon lot de gaslighting (accompagné de rage et d’une profonde incapacité à suivre une logique émotionnelle d’un point A à un point B). Cependant, c’est moins commun que la grande variété de spécimens rencontrés au jardin du quotidien.

Si l’impact sur l’autre personne l’entraçine à douter de sa propre santé mentale, nous devons, à un certain point, être capable de parler de ce qui se passe, sans se laisser engluer par un « mais je n’en avais pas l’intention » »

Nous comprenons avec le racisme que les effets comptent plus que l’intention. Alors, pourquoi sommes-nous si bloqués dans cette idée que ça ne compte pas si quelqu’un ruine notre santé mentale parce qu’il n’en avait pas l’intention ?

Voici un petit exemple :

J’appelle un copain proche que je connais depuis des années. Je suis bouleversée et j’aimerais m’épancher, peut-être entendre quelques mots affectueux et encourageants, peut-être demander conseil. Cet ami se sent parfois débordé par les émotions et parfois il trouve que ça le rapproche des gens et accueille volontier ces partages. Au moment de mon appel, il craque : « Je ne peux pas parler là, maintenant» et il balance le téléphone à sa copine, qui apprécie ce type de conversations.

Je me sens légèrement blessée par la brusquerie de sa phrase. Comme nous sommes tous très proches, j’en fait part à sa partenaire qui lui relaie l’information. Il répond de l’autre bout de la pièce : « non, non, Je ne suis pas du tout contrarié par toi, je suis juste en train de laver les plats et de préparer le diner, c’est tout. » Elle me relaie ceci : « son ton de voix n’a rien à voir avec ce que t’as dit, c’est juste lui qui est stressé à propos du repas. » J’ai pensé que j’avais dû mésinterpréter son comportement et dis : «  Oh, pardon ! Tout va bien ! » Tout en m’excusant de demander à parler alors qu’il avait des choses au four. D’une certaine façon, ma perception, celle qu’il m’avait raccroché au nez alors que je n’étais pas bien et qu’il se débarrasse du téléphone sans aucun mot gentil, comme si j’avais fait quelque chose pour le mettre en colère, fut mise de côté. Je décidais que je devais juste avoir complètement mésinterprété son comportement.

J’ai abandonné ma perception en recalibrant ma compréhension de ses besoins avec cette nouvelle information : il est ok pour écouter mes émotions, juste pas à cette heure du jour.

Lorsque  j’ai dit « pardon, » cependant, je me suis sentie un peu bizarre : je n’étais pas sûre de m’excuser pour mon mauvais timing ou pour avoir des émotions. Je pense que j’ai tort d’être secouée par cette interruption. Je doute de mes perceptions. Ses mots contredisent directement ce que me dit mon cerveau limbique de ce qu’il est en train de se produire.

Nous n’en avons plus parlé et j’ai noté dans mon petit carnet des connaissances que mon ami était comme ça quand il faisait plusieures choses à la fois, et que ce n’était pas une forme de réponse qui devait me contrarier du tout. Parce qu’il l’avait dit.

Quelques mois plus tard, nous sommes en train de discuter… Il est dans une phase où il travaille sur ses émotions et sur ses propres sentiments, augmentant ainsi sa capacité à gérer l’émotion. Il me dit : « Hé, tu te rappelles, cette fois où t’as appelé et que t’avais besoin d’une oreille et que j’ai répondu sèchement en me débarrassant du téléphone sans vérifier comment t’allais, puis quand j’ai dit que je n’étais pas du tout contrarié par toi mais que j’étais juste très occupé avec la vaisselle et le diner ? En fait, j’ai eu une assez grosse réaction physiologique à tes émotions et je n’arrivais pas à gérer. » Il n’a pas partagé ça comme une grosse révélation. Il avait pris conscience depuis un moment de sa réaction ; c’est uniquement parce qu’il était excité par ce qu’il était en train d’apprendre qu’ il m’en faisait part. Personne ne contrariait personne à ce moment là, c’était juste une conversation intéressante sur les émotions.

Je m’arrêtai. Je réalisais que mes perceptions avaient été justes la première fois. J’essayais d’encaisser le fait que j’ai effacé mes perceptions de ce petit moment. Et pas seulement. Afin d’être une amie bienveillante et attentive, j’avais intégré un schéma d’information sur le sens du comportement de mon ami, ce qui implique que j’avais continué à nier mes perceptions pendant des semaines, chaque fois que je repensais à cet instant.

Et je n’avais peut-être pas besoin de ça, peut-être que mes perceptions étaient bonnes. Il m’a répondu sèchement, il a lâché le téléphone comme une patate chaude, il semblait vraiment bouleversé, et je l’ai pris comme « juste en train de faire la vaisselle, pas contrarié par toi » et ai réévalué ma lecture de lui avec cette info, parce que j’ai confiance en lui et que je voulais accepter ses mots à propos de lui-même. Et pourtant, dans un sens très ordinaire, très quotidien, ses paroles à son sujet n’étaient finalement pas vraies.

Plus précisément, ses paroles ne correspondaient pas à ce que savait mon corps sur ce qui venait d’arriver : son bouleversement émotif. Ce qui n’était pas, en soi, une grosse affaire. Les gens peuvent avoir différentes capacités émotionnelles à différents moments. S’il avait dit :  « Là, je me sens dépassé par mes émotions », nous aurions vécu la même réalité et ma réponse aurait encore été : « oh, ok, tout va bien, je lui parlerai à elle, à la place. »

Je réalise que je pouvais, sur le moment, respecter ses besoins quels qu’ils fûent, et que cela aurait été beaucoup moins blessant pour moi de croire mes propres perceptions plutôt que sa parole qui était malhonnête émotionnellement.

J’aurais pu entendre ses mots « pas contrarié du tout, juste occupé à la vaisselle et au repas » et penser « ok, il semble juste émotionellement dépassé, et je devine qu’il ne se sent pas capable de le dire, donc il dit autre chose. C’est ok. »

Les deux raisons pour ne pas être disponible sont valables, mais l’une est vraie et l’autre ne l’est pas.

L’une me donne une capacité précise pour orienter ma boussole intérieure, l’autre la perturbe, si je crois sa parole plus que mes perceptions.

C’est piégeux : remettre en doute quelqu’un sur ses propres émotions est en soi une forme de gaslighting.

C’est une valeur forte chez moi de croire les gens quand ils me disent comment ils se sentent car, quand on en arrive là, nous sommes tous experts en nos propres réalités intérieures.

Mais, ayant eu mes perceptions ébranlées toute ma vie, je dois apprendre à tempérer l’information que je reçois par l’évidence de ce que je ressens, en maintenant les deux ensemble.

Quand je peux tenir les deux pièces d’information en même temps, je peux être plus disposée à le croire sur ce qu’il expérimente quand il a besoin de moi, sans automatiquement écarter toute information vraiment fiable que mon corps m’envoie.

Je n’ai pas besoin de lui dire qu’il a été malhonnête pour me faire confiance. Je peux juste apprendre que mes perceptions, finalement, sont plutôt correctes la plupart du temps, et m’ouvrir au fait qu’il est possible que lui ne soit pas entièrement franc, que les gens ne sont pas toujours  parfaitement conscients d’eux-même, que les humains sont compliqués.

Quand je sais au fond de moi que mes perceptions sont réellement carrément exactes, contrairement à ce qu’une vie de remise en question m’a imposée, je me sens moins tenir à la réalité comme à du sable qui se déroberait à la prise. Quand je sens que je m’accroche moins à ma santé mentale comme à un fil, je peux aborder ces situations avec plus d’aisance, de force, d’empathie et de compréhension.

Si j’en ai besoin, sachant que je peux perçevoir les choses précisément malgré ses mots, je peux gentiment questionner l’information qu’on me donne et voir si une réponse plus honnête pourrait juste être sous la surface du discours. : « Je vois que tu te sens un peu débordé, est-ce exact ? C’est ok si tu ne veux pas avoir à m’écouter chouiner. Personne ne veut avoir à faire ça tout le temps. Laisse moi savoir si c’est ce qu’il en est, ok ? ». Si j’ignore l’effacement de ma propre réalité et crois la petite voix à l’intérieur de moi qui dit : ‘Hum, non, attend, ces paroles et cette perception sensible s’invalident l’une l’autre, » peut-être serais-je assez forte pour demander des clarifications, offrir une compréhension, et obtenir une réponse plus précise.

Voici un autre exemple : j’étais à la recherche d’une maison avec un proche ami qui généralement me traite très bien. Je lui dis « Je roulerai dans la ville et nous chercherons des pancartes  A LOUER aux fenêtres ». Lui, en stress, dénigrant mon idée d’un battement de main, me dit d’un ton condescendant : « Personne ne met jamais de signe à sa fenêtre. Les gens utilisent juste Craiglist/les petites annonces ». Croyant automatiquement ses perceptions par-dessus les miennes, je pensais immédiatement : «  Whoa, je dois être stupide, pourquoi n’ai-je pas remarqué que dans cette ville c’est différent de là où j’ai grandi ? » et j’abandonnais honteuse mon plan de recherche. Je pense que quelquepart une idée me trottait à l’arrière du crâne, « oh mais je pensais avoir vu quelques pancartes aux fenêtres dans le quartier au nord d’ici, » mais j’étais confuse et je pensais donc devoir mal me souvenir.

Deux semaines plus tard, je rendis visite à une amie qui venait d’aménager dans un nouvel appartement et lui demandais : « Comment as-tu trouvé cet endroit ? » Elle dit : « oh, j’ai répondu à une pancarte à la fenêtre. Tu peux trouver les meilleures opportunités de cette manière parce que l’ancienne génération qui loue depuis longtemps comme ça n’augmente pas les loyers et a l’habitude d’utiliser ce moyen et non Craigslist/les petites annonces. » Je me figeai. Je réalisais que j’avais découvert un moment pendant lequel j’avais automatiquement laissé supplanter ma propre confiance en moi avec la supposition qu’un ami homme saurait mieux que moi.

Et oui, les femmes gaslightent les gens également. Mais le patriarcat et le sexisme structurel orientent les effets différemment. Dans le dernier exemple, l’ami fut d’accord avec le fait qu’on lui a appris à croire en ses perceptions toute sa vie et qu’ainsi il n’aurait pas abandonné ses propres idées à la présentation des miennes. Les personnes de genre féminin sont continuellement remises en question.

S’il n’y avait que ces quelques moments, il n’y aurait pas de mal. Mais il y a des milliers de moments de ce genre chaque jour, et nous ne pouvons que rarement les attraper si clairement.

La profondeur des impacts, quand tu réalises que toute ta vie tu as douté de tes propres perceptions, et que tout du long tu n’étais pas folle et que tu aurais pu te faire confiance, est vertigineuse. L’étendue de la distorsion, quand elle te frappe, est un mur de brique.

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Et devine quoi ? Se sentir en colère quand ta réalité est sabotée comme ça, c’est normal et sain. Jette un œil à Picard, en haut. Il a l’air plutôt fâché, n’est-ce pas ? Quand tu tentes de t’accrocher à ta connaissance que tu n’es pas folle, tu pourrais avoir l’air un peu…folle.

Voilà toute l’essence du gaslighting. Faire activement quelquechose à une autre personne qui de façon attendue, l’amènera à ressentir des émotions comme la tristesse, la confusion, la souffrance, puis ensuite lui dire qu’elle est folle de ressentir ces émotions parce que tu n’as pas fait la chose, qu’en fait, tu as fait.

L’effet sur la psyché quand des personnes en qui tu as confiance te disent de façon quasi-continue, par des attaques journalières, que des choses réelles ne sont pas réelles est de causer une fragmentation et un sabotage de nos plus puissantes, nos plus belles et nos plus efficaces source d’orientation : nos perceptions et nos instincts.

Nous vivons dans un monde qui ne veut pas que les femmes aient confiance en elles. On nous dit littérallement par des milliers de façons, petites ou énormes, que ce que nous savons se passer ne se passe pas. Peut-être, comme me l’a dit un copain il y a quelques temps, même les hommes bons ne se sentent pas tout à fait à l’aise avec l’idée que les femmes croient en elles-même, parce que cela voudrait dire qu’il faut abandonner une partie du pouvoir inhérent à ce que le patriarcat et la domination masculine tente de s’accaparer. Les hommes bons sapent aussi la confiance des femmes s’ils n’ont pas travaillé sur cela.

Si, comme ça arrive souvent, tu es avec une femme qui a subi cela de façon plus sérieuse dans le passé, ces petits moments où tu lui dis de ne pas croire en ses perceptions s’accumulent au dessus des façons plus étendues dont elle a vu son sens de la réalité nié auparavant. Celles d’entre nous qui avons traversées des abus plus sérieux devont nous débattre d’autant plus pour savoir que nos perceptions sont justes, parfois sacrément dans le mille.

L’effet d’avoir des gens auxquels on croit, sur lesquels on compte pour nous renforcer, saper la réalité, est sérieux et profondément destructeur.

Pourquoi cela devrait-il compter qu’il l’ait fait exprès ou pas ? Je veux dire, le faire exprès peut faire de toi une personne authentiquement mauvaise, bien sur. Mais très peu parmi nos proches conçoivent de nous faire du mal, et pourtant, ils en font, du mal.

On ne joue pas légèrement avec la santé mentale de quelqu’un. S’il te blesse si profondément parce qu’il n’a  juste pas réalisé qu’il le faisait, ou parce qu’il se sent trop honteux pour admettre quelquechose, qui n’avait probablement rien d’honteux du tout, ou parce qu’il a grandi dans un monde où il pouvait s’en sortir avec et ne plus y penser, est-ce que les effets ne sont pas les mêmes ?

En fait, être dans ce genre de marécage de dissimulation peut être d’autant plus perturbant quand tu vois clairement que la personne que tu aimes profondément, la personne en qui tu as confiance et en qui tu as foi, croit elle-même en ce qu’elle dit_ même si ce n’est pas réel.

Le problème est que la masculinité nous dit tous, quelque soit notre genre, que les femmes ne savent pas de quoi elles parlent. Ainsi, si une information provient d’une bouche avec un certain ton de voix et une certaine présentation genrée, cela ne peut pas être pris sérieusement. Et ça, c’est malsain. Et ça, c’est dingue.

Quelquefois, un cercle entier de personnes peut faire cela à quelqu’un et ne rien voir du tout jusqu’à ce qu’il soit trop tard. Dans ma communauté, par exemple, il y a quelques années, il y avait une femme de couleur que les gens disaient « tout le temps en colère. » Et elle était avec ce mec blanc « mignon, doux et décontracté. » Nous nous demandions comment ils parvenaient à s’entendre car leur tempéraments semblaient si différents.Il s’avera plus tard qu’il l’agressait sexuellement depuis des années et niait sa réalité quand elle disait que ça arrivait. Pendant des années… Et nous, qui étions autour d’eux tout ce temps, nous nous sommes cognés à un mur de brique de notre propre cru : nous avions laissé ça arriver. Nous l’avions vu comme « une femme de couleur colérique,» sans nous arrêter pour penser : hé, qu’est-ce qui sur cette planète rendrait quelqu’un si fâché ? J’étais l’une de celle appelée pour aider sur la procédure de responsabilité. Et je compris qu’il n’avait pas complètement reconnu ce qu’il faisait. Est-ce que cela a changé l’impact sur elle qu’un groupe de personnes prétendument radical l’abandonne ? Avions-nous réellement besoin que la personne causant la blessure voit la blessure avant que nous aillons la volonté de reconnaître qu’elle était là ?

N’est-ce pas là une terrible quantité de pouvoir à donner à ceux qui gaslightent, que de les laisser décider si la personne qu’ils ont blessé peut être entendue ou reçevoir de l’aide ?

Et oui, le gaslighting arrive également aux hommes. Ceux qui l’ont expérimenté ont besoin de s’aider et de se soutenir (plutôt que d’être en compétition). Nous l’expérimentons de façons différentes selon le degré de connivence de notre société. Quand les hommes gaslightent les femmes ou les personnes de genre féminin, cela révèle l’étendue plus grande du phénomène de gaslighting et la formation culturelle des hommes cisgenres à massivement amplifier le préjudice et de jeter le-la survivante sous le bus. La même chose est vraie avec les enfants qui ont subi cela : ils ne sont pas crus. La meilleure chose que vous puissiez faire, si vous avez vécu ça ou que ça vous est arrivé, est d’utiliser cette conviction d’a quel point ça fout la pensée en l’air et de supporter les femmes qui doivent vivre dans un contexte dans lequel la culture entière les gaslighte littéralement chaque jour (livre : Men explain things to me de Rebecca Solnit). Cela signifie que lorsqu’un seul gars pratique le plus extrême abus de gaslighting, les femmes ou les personnes de genre féminin seront particulièrement visées tout en ne disposant que de très peu de moyens d’obtenir de l’aide.

Alors, a-t-on besoin d’un autre mot ?

Y a-t-il un mot pour « foutre en l’air ton sens des réalités et ébranler ta santé mentale en disant que quelquechose n’arrive pas quand c’est absolument en train de se passer ? » quand ça ne signifie pas « le faire exprès » mais au contraire de reconnaître le caractère profondément systémique, persuasif et profondément déglingant pour l’esprit de ces moments ?

J’ai appris récemment une distinction au sujet d’un outil de pensée sur le consentement sexuel : les accidents de consentement contre les violations de consentement. La distinction, bien que risquée comme de telles choses peuvent l’être, semble utile. Je me demande si nous ne pourrions pas utiliser une distinction similaire pour comprendre les différentes façons profondément blessantes dont le gaslighting affecte les femmes et les personnes au genre non binaire. Cela permettrait d’offrir dans le même mouvement, un chemin pour la réparation et l’apprentissage  quand les hommes reconnaissent qu’ils ont effectivement été engagés dans ce genre de sabotage psychologique en niant les perceptions justes de quelqu’un d’autre.

Quel seraient les mots à utiliser ? Gaslighting est un mot si puissant et qui a aidé beaucoup de personnes à enfin croirent en elles-même. Je ne veux pas le cantonner aux situations extrêmes car c’est le côté ordinaire et naturalisé d’une perturbation systémique qui le rend si difficile à épingler. Et pourtant, je veux distinguer les actes d’une personne très abusive, qui change ouvertement la réalité, de ceux que beaucoup d’hommes font par manque de travail psychologique sur eux-même ou de maturité émotionnelle, sans non plus laisser ce glissement continuer à avoir ces effets violents et néfastes pour les femmes comme à présent. Comment appellerions-nous ce gaslighting accidentel ?

Bien sûr, il y a ceux qui gaslightent à n’en plus finir lorsque vous leur laissez un tout petit peu d’espace. Il y a ceux avec qui il n’est pas sage de laisser une quelconque plage pour discuter de leurs intentions, parce qu’ils sont largement et entièrement incapables d’empathie avec ceux qu’ils ont blessés. Pour ces cas là, le « gaslighting direct » est probablement le meilleur mot. Parce que le centrage sur le survivant est tellement difficile pour ces individus, il est surement mieux dans ces cas de commencer justement à se concentrer sur le survivant, et d’y rester. Les effets comptent avant tout dans le gaslighting. Pas les intentions.

 

 

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Un grand merci à Fanny Chaumet pour la traduction !

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https://norasamaran.com/2016/02/11/the-opposite-of-rape-culture-is-nurturance-culture-2/

https://norasamaran.com/2016/08/28/variations-on-not-all-men/

https://norasamaran.com/2016/06/28/on-gaslighting/

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